Liberté pour les inculpés de Toulouse [Le Monde Libertaire]
Depuis huit semaines, quatre jeunes sont en détention préventive à la prison de Seysses ,près de Toulouse. Ils et elles sont soupçonné-e-s d’avoir participé, en juillet 2011, à une action de solidarité avec les mineurs enfermés, menée dans les locaux de la direction interrégionale sud de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Le soutien s’organise.
Les EPM (établissements pénitentiaires pour mineurs) sont de véritables prisons pour enfants, enfermant des jeunes de 13 à 18 ans, souvent issus des classes les plus défavorisées. Créés par la loi « Perben I », ils sont dénoncés par de nombreuses organisations politiques et syndicales (FSU, LDH, Syndicat de la magistrature, PCF…). Il y a en effet de quoi s’interroger sur les 700 euros par jour dépensés pour chacun des 360 détenus mineurs enfermés dans les EPM, sur les 800 mineurs détenus… quand on compare cela par exemple, avec l’hémorragie des budgets consacrés à l’éducation nationale. Ces EPM imposent une gestion schizophrène des mineurs « délinquants », en associant des éducateurs, sensés développer l’autonomie et l’apprentissage, et des matons – dont la fonction est éminemment coercitive. Les organisations syndicales travaillant dans ces EPM en dénoncent régulièrement la gabegie (la FSU, mais aussi la CGT-PJJ qui parle de « cocottes-minute »). Même un rapport du Sénat se montre accablant. Résultat de cette politique consternante : suicides de mineurs à l’EPM de Meyzieux en 2008, et à l’EPM d’Orvaux en 2010 ; mutineries à Meyzieux en 2007, à Lavaur en 2007 et en 2011 ; tentatives d’évasion…
Face à ce constat déplorable, la PJJ surenchérit dans la provocation et la répression les plus abjectes, en qualifiant d’ « irrécupérables » des jeunes détenus, en réclamant « plus de sécurité » ainsi qu’un « profilage des détenus ».
Quant au Parlement, il s’apprêtait l’été dernier à refondre l’ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs, avec la création d’un tribunal correctionnel pour récidivistes de plus de 16 ans !
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’action du 5 juillet dernier. Des personnes solidaires des détenus mineurs s’introduisent dans des locaux de la PJJ de Labège, elles répandent un liquide puant (de la merde semble-t-il) sur des bureaux et ordinateurs, font quelques tags et laissent des tracts non signés, solidaires contre la répression croissante qui s’exerce sur les mineurs et dénonçant les EPM. «Pas de violence physique » et « peu de dégâts », dixit le procureur de Toulouse Michel Valet lui-même (Dépêche du Midi, 6 juillet 2011), à peine un accrochage : quand un membre de la PJJ a arraché le sac à dos de l’une des personnes, il s’est pris un petit jet de lacrymo… qui n’a d’ailleurs donné lieu à aucune ITT (interruption temporaire de travail) ni à aucune plainte. Cette « affaire » n’était donc tout au plus qu’une modeste mais claire action de solidarité avec les mineurs frappés par la répression étatique. Qu’est-ce donc, face à la gravité de la situation des jeunes enfermés en EPM ?
Pourtant, plus de quatre mois après les faits, c’est une véritable opération commando qui est lancée par l’état : des forces de l’ordre surarmées déboulent dans
sept lieux d’habitation de Toulouse – dont des squats d’habitation. Quinze personnes sont interpellées, dont une famille de sans-papiers. Six sont placées en garde à vue. Quatre sont ensuite placées en détention préventive, une reste inculpée et sous contrôle judiciaire, une dernière est libérée mais comme « témoin assisté ». Leur procès est prévu en mai 2012. Les trois chefs d’inculpation sont très lourds, disproportionnés par rapport aux faits reprochés : « violence commise en réunion sans incapacité », « dégradation ou détérioration du bien d’autrui commise en réunion », et bien sûr la fameuse « participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destruction ou de dégradations de biens », l’arme estrosique absolue contre les militant-e-s, décidément ressortie à tous les procès. L’ADN des inculpés, alors qu’ils et elles avaient refusé leur prélèvement, a été pris sur leurs gobelets et couverts pendant la garde à vue. Rappelons que le prélèvement d’ADN (dont sont expressément exemptés les délinquants financiers) est devenu quasi systématique hors de la garde à vue. Que son refus est considéré comme un délit par l’état, pouvant donner lieu, même en cas de relaxe pour l’affaire corollaire, à d’ubuesques convocations ultérieures, voire des condamnations – le « délit » est toujours passible d’un an de prison et 15 000 euros d’amende.
Les inculpés de Toulouse nient toute participation à l’action du 5 juillet. Pour autant, ils et elles revendiquent et assument leurs convictions politiques et leur
engagement militant. Certains sont des militants depuis le lycée, qui se sont mobilisés lors du CPE. Les inculpé-e-s ne font partie d’aucune organisation.
Pourtant, la justice et la presse ont ressorti leur épouvantail, en prétendant qu’ils et elles appartiendraient à « l’ultra-gauche ». Cet étiquetage, de même que
celui d’ « anarcho-autonome » (qu’on se souvienne de « l’affaire » de Tarnac ou celle de Vincennes), cache mal la volonté manifeste du pouvoir d’instaurer un
véritable délit d’opinion, tout en coupant court à la critique nécessaire de leurs institutions.
Quatre d’entre eux-elles sont donc en détention provisoire, une détention qui s’éternise depuis huit semaines à la maison d’arrêt de Seysses. Sans aucune date
annoncée de remise en liberté… Le juge attendrait le résultats des tests ADN – sans doute déjà à sa disposition. Si ces résultat ne correspondent pas, peut-être espère-t-il que les inculpés coopèrent pour donner des infos sur le milieu militant ? Que les flics puissent ficher d’autres militants exprimant leur soutien par des actions de solidarité avec les inculpés ? La détention provisoire bafoue la présomption d’innocence, puisqu’elle applique de fait une peine de détention avant tout jugement, sans compter qu’elle peut être prolongée au bon vouloir du juge. Ce qui prive les détenus de toute possibilité de relaxe, puisque pour se couvrir, le tribunal condamne toujours les détenus à une peine de rétention… qui couvre au moins le temps déjà passé derrière les barreaux (faute de quoi le tribunal pourrait être attaqué pour détention arbritraire). La CEDH (Cour européenne des droits de l’Homme) a critiqué la France à ce sujet : il y a de quoi. La moitié de la population carcérale en France correspond à des prévenu-e-s dans l’attente d’un procès qui peut en certains cas avoir lieu deux ou trois ans plus tard. Là aussi, l’affaire de Labège rappelle celle de Tarnac (avec plus de six mois de détention préventive pour Julien Coupat), ou celle de Vincennes (entre sept et treize mois pour six Parisiens demeurant depuis sous contrôle judiciaire). Les motifs qu’invoque le tribunal pour rejeter les demandes de libération émises par des inculpé-e-s de Toulouse frisent le grotesque : il s’agit d’ « empêcher une concertation frauduleuse avec des complices »… alors que les inculpées sont dans la même cellule et que les inculpés se sont côtoyés en promenade les premiers jours. D’« empêcher une pression sur des témoins ou des victimes »… alors même qu’il n’y a aucune victime, et qu’aucun témoin n’a pu identifier personne. De « prévenir le renouvellement de l’infraction »… alors que les inculpés ne seraient pas des « récidivistes » mais des « primo-délinquants », s’ils et elles se retrouvaient finalement jugés coupables. Le tribunal a aussi refusé une demande de remise en liberté s’appuyant sur une promesse d’embauche pour six mois à partir de début janvier, jugeant celle-ci non crédible ; pourtant ce détenu a un casier judiciaire vierge, paye un loyer pour son logements et a des revenus. L’appel de l’autre détenu (rejeté) s’est même tenu récemment… sans le concerné.
Lorsque leur pouvoir s’est trouvé contesté, les états ont toujours eu recours à la stigmatisation et à l’agression contre une partie de la population : aujourd’hui les sans-papiers et plus généralement les étrangers, les Roms, les jeunes des quartiers, les jeunes politisés, les militants (Conti, etc.), les anarchistes, etc. Ce qui leur permet de semer la peur en espérant détourner le mécontentement populaire contre des boucs émissaires, si possible choisis de façon à briser les mouvements sociaux. Face à cette volonté de marginalisation et d’atomisation sociale, il y a une réponse claire et déterminée à apporter : la solidarité concrète avec toutes les personnes confrontées à la répression pour avoir contesté l’organisation (anti) sociale actuelle.
De nombreuses actions de solidarité avec les inculpés de Toulouse ont eu lieu et se poursuivent dans plusieurs villes de France, emmenées par des organisations et collectifs divers : banderoles, tractages, rassemblements, concerts et soirées débats (comme le 14 janvier aux Pavillons sauvages, à Toulouse)… Le soutien matériel continue, notamment grâce à la solidarité du CAJ Toulouse , pour fournir aux détenus du fric pour cantiner, des bouquins, des vêtements et du courrier, malgré l’obstruction de l’administration pénitentiaire. Les affaires ont mis plusieurs semaines à arriver aux détenus, dont un n’a pas pu recevoir ses cours, pourtant envoyés à deux reprises par son université, que récemment – quelques jours à peine avant ses partiels – ce qui compromet l’obtention de ses examens et de son année universitaire.
Ici sur Poitiers, le comité poitevin contre la répression des mouvements sociaux (« antirep 86 ») a réagi très vite, en organisant notamment un rassemblement de soutien et en produisant deux communiqués. Personnellement, je connais un peu deux des détenu-e-s et je pense tous les jours à eux avec le mal au bide. J’ai partagé leur lutte à Poitiers lors de mouvements dans l’éducation. Ils m’ont soutenu lorsque j’étais en grève. Ils dorment aujourd’hui en taule. Mais je sais aussi qu’ils tiennent bon, et qu’ils se savent soutenus. La solidarité est notre seule arme. Elle ira jusqu’au bout, avec toutes les personnes qui se sentent concernées et révoltées.
John Rackham, groupe Pavillon noir de la Fédération anarchiste